jeudi 30 mai 2013

Son employeur dit qu'il pue trop...


Un jardinier employé à la Ville de Montréal mis à l’écart en raison de son odeur corporelle malodorante mène un combat de tous les instants qui l’a conduit jusque devant la Cour suprême du Canada, dans l’espoir de terminer sa carrière dignement.

Profondément bleson lui faisait savoir qu’il sentait mauvais.
«Ce sujet délicat m’a été rapporté presque quotidiennement depuis mon arrivée en poste», indique sa patronne dans son rapport, dont le Journal a obtenu copie.
Cette journée-là, au terme d’une discussion, un collègue lui a offert de lui prêter son antisudorifique et une chemise propre.
Humiliation
Devant la problématique, plusieurs mesures ont été tentées par l’employeur, dit le rapport: rencontre de groupe, mémo au personnel rappelant l’importance d’une bonne hygiène personnelle, faire travailler M. Benmammar avec diverses équipes pour «partager le problème», l’isoler dans des tâches solitaires.
Secoué, outré, humilié par ces allégations, M. Benmammar est allé consulter un médecin qui a diagnostiqué un stress situationnel et un trouble d’adaptation. On lui a prescrit un congé.
Muni de son billet de médecin, il a rempli une déclaration d’accident de travail et tenté d’être indemnisé par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST). Des procédures qui se sont avérées longues (voir tableau).
Dans une missive envoyée à la Ville en 2008, non seulement son directeur syndical, Martin Forest, larguera M. Benmammar, mais il donnera raison à la Ville.
«Lorsqu’il est venu se plaindre au bureau du syndicat, j’ai moi-même remarqué une forte odeur de transpiration», écrit-il.
M. Benmammar a repris le travail en décembre 2008 en assignation temporaire. Mais six mois plus tard, le scénario se répétait: une collègue jardinière a de nouveau refusé de monter avec lui dans son camion, prétextant son odeur nauséabonde.
Très méchant
Incrédule, il a même questionné d’autres collègues qui lui auraient confirmé que son odeur n’était pas dérangeante, dit-il.
Déprimé, s’estimant victime d’injustice et qualifiant le comportement de sa patronne de «très méchant», M. Benmammar a de nouveau demandé d’être indemnisé par la CSST.
Toutes ses demandes d’indemnisation et contestations réalisées au cours des années ont été rejetées. En fait, ses contestations judiciaires semblent presque devenues le centre de ses préoccupations.
Estimant que tous ses déboires lui ont coûté près d’une centaine de milliers de dollars, il tente aujourd’hui d’obtenir réparation et poursuit (sans avocat) la Ville de Montréal pour 90 000 $.
UNE LONGUE SAGA

26 JUILLET 2007:
Une collègue de travail refuse de travailler avec M. Mustapha Benmammar, indiquant qu’il dégage une odeur corporelle nauséabonde. Sa patronne indique que plusieurs collègues de travail s’en plaignent également.
30 JUILLET 2007:
Avec un billet de médecin diagnostiquant un stress situationnel et un trouble d’adaptation, il déclare un accident de travail à la Commission de la santé et sécurité du travail (CSST).
29 AOÛT 2007:
La CSST refuse de l’indemniser. Il contestera cette décision devant divers tribunaux, lançant ainsi une longue saga judiciaire.
20 DÉCEMBRE 2008:
M. Benmammar revient au boulot en assignation temporaire.
4 JUILLET 2009:
Un autre incident relatif à son odeur corporelle présumée devient une «rechute, récidive ou aggravation» de son état. Il présente une nouvelle demande d’indemnisation à la CSST, qui sera à son tour rejetée. En révision et en appel, la décision de la CSST demeurera inchangée.
4 NOVEMBRE 2010:
La juge Ginette Piché, de la Cour supérieure du Québec, rejette la demande de révision relative à l’incident de 2006, ainsi que la réclamation de 250 000 $ en dommages-intérêts et dommages punitifs de M. Benmammar.
7 MARS 2011:
La Cour d’appel du Québec refuse d’entendre les arguments de M. Benmammar, qui voulait contester la décision de la juge Piché.
22 SEPTEMBRE 2011:
La Cour suprême du Canada refuse elle aussi de l’entendre, mettant fin aux procédures dans ce dossier.
9 JANVIER 2013:
La Cour des petites créances rejette la poursuite de M. Benmammar, qui réclamait 7000 $ à l’avocat qui l’avait défendu devant la CLP.
22 AVRIL 2013:
La CLP lui demande de cesser de harceler le tribunal.
7 MAI 2013:
Il dépose une poursuite contre la Ville de Montréal, réclamant 90 000 $.

VEXÉ ET HUMILIÉ

sé, souffrant d’insomnie, atteint d’un stress situationnel lié à toute cette affaire, Mustapha Benmammar, aujourd’hui âgé de 72 ans, dit vivre un véritable enfer depuis 7 ans.
Bien qu’il ait jusqu’ici perdu tous ses combats, il a logé ces derniers jours une poursuite de 90 000 $ contre la Ville de Montréal, pour atteinte à son honneur, sa dignité et sa réputation.
Même s’il refuse de porter de l’antisudorifique et que, pour lui, une douche par deux ou trois jours soit suffisante, il estime n’avoir aucun problème d’hygiène.
«Je ne pue pas», dit-il, convaincu.
Toute l’affaire a débuté en juillet 2006, alors qu’il travaillait à l’arrondissement Ahuntsic/Cartierville.
Pour la première fois depuis son entrée à la Ville en 1991, M. Benmammar refuse de croire qu’il a des problèmes d’hygiène. Bien qu’il ne porte pas d’antisudorifique, il répète qu’il est un homme propre.
Rencontré par le Journal ces derniers jours, M. Benmammar affirme d’ailleurs que sa religion lui impose la propreté.
«Vous n’êtes pas un bon musulman si vous n’êtes pas propre, dit-il. La prière ne serait pas valable. À chaque prière, je me lave les mains, les bras, le visage, les cheveux. Plusieurs fois par jour.»
Selon lui, quelqu’un qui fait un travail de bureau peut aisément passer deux à trois jours sans prendre une douche et sans changer de vêtements.
Par contre, un jardinier comme il était doit impérativement prendre une douche quotidiennement, pour se débarrasser de toutes les bactéries. Ce qu’il faisait, dit-il.
Quant à l’antisudorifique, il s’agit d’un agent chimique qu’il n’aime pas porter et qui ne lui est pas nécessaire, croit-il.
Prétexte à l’écarter
«Moi, je ne mets pas de déodorant, dit-il. Je n’ai jamais eu ce problème-là.»
Selon lui, son odeur corporelle est un prétexte qu’une nouvelle patronne a invoqué pour l’écarter, en raison de son âge. (Il avait 67 ans à ce moment.)
Il refusait de prendre sa retraite et souhaitait travailler encore quelques années avant d’accrocher son râteau.
Se faire dire qu’il pue l’a humilié, vexé. Il dit ressentir encore la douleur de ce «harcèlement psychologique». Il a notamment éprouvé des problèmes d’insomnie.
Mais tous les échecs subis devant les tribunaux le heurtent aussi. Il a l’impression que les juges qui l’ont débouté ont mal saisi ses arguments.
Le psychiatre qui l’a examiné à deux reprises estime qu’il est sain d’esprit, quoique sa personnalité présente des traits obsessionnels.
Lors des deux examens, il était «vêtu de façon soignée et ne dégageait aucune odeur corporelle».
Non seulement toute cette affaire a eu des impacts sur lui, sa famille et sa santé, mais la mésaventure lui a coûté cher. Il souhaite maintenant obtenir réparation.

DÉLICAT POUR L’EMPLOYEURRencontrer un employé pour lui dire que son odeur corporelle dérange n’a rien d’agréable pour un employeur. Mais la délicate tâche fait partie des devoirs des patrons.






«C’est un sujet qui rend beaucoup de gens mal à l’aise, convient l’avocat Jacques Provencher, spécialisé en droit du travail au cabinet Le Corre et associés. Ça touche l’amour-propre. On doit le faire avec délicatesse, tact et respect.»
Mais laisser aller le problème risque de s’avérer coûteux, alors que faire face au problème a un double avantage, selon l’avocat Nicolas Joubert, du cabinet Lavery:
«En plus de régler le problème comme tel, on évite qu’il dégénère en comportement vexatoire ou que l’employé soit exclu par les autres.»
Le patron doit d’abord rencontrer l’employé nauséabond et lui exposer le problème qu’il engendre. Puis, il faut identifier si les odeurs proviennent d’un trouble de santé ou d’un manque d’hygiène.
Dans ce dernier cas, comme la Ville l’allègue dans le dossier de M. Benmammar, on doit donner à l’employé les moyens de s’améliorer, dit Isabelle Martin, professeure à l’École des relations industrielles à l’Université de Montréal.
«On doit lui communiquer nos attentes claires, des objectifs, un échéancier», dit-elle.
Les employeurs doivent y aller avec délicatesse et ouverture, puisqu’un danger les guette: une accusation de harcèlement psychologique.


Rencontrer un employé pour lui dire que son odeur corporelle dérange n’a rien d’agréable pour un employeur. Mais la délicate tâche fait partie des devoirs des patrons.
«C’est un sujet qui rend beaucoup de gens mal à l’aise, convient l’avocat Jacques Provencher, spécialisé en droit du travail au cabinet Le Corre et associés. Ça touche l’amour-propre. On doit le faire avec délicatesse, tact et respect.»
Mais laisser aller le problème risque de s’avérer coûteux, alors que faire face au problème a un double avantage, selon l’avocat Nicolas Joubert, du cabinet Lavery:
«En plus de régler le problème comme tel, on évite qu’il dégénère en comportement vexatoire ou que l’employé soit exclu par les autres.»
Le patron doit d’abord rencontrer l’employé nauséabond et lui exposer le problème qu’il engendre. Puis, il faut identifier si les odeurs proviennent d’un trouble de santé ou d’un manque d’hygiène.
Dans ce dernier cas, comme la Ville l’allègue dans le dossier de M. Benmammar, on doit donner à l’employé les moyens de s’améliorer, dit Isabelle Martin, professeure à l’École des relations industrielles à l’Université de Montréal.
«On doit lui communiquer nos attentes claires, des objectifs, un échéancier», dit-elle.
Les employeurs doivent y aller avec délicatesse et ouverture, puisqu’un danger les guette: une accusation de harcèlement psychologique.

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