samedi 29 décembre 2012

La Franc-maçonnerie face au monde moderne ...


La franc-maçonnerie connaît depuis l’hiver dernier une crise sévère en France et fait face à une véritable fronde intérieure. C’est ce qu’ont révélé plusieurs affaires internes, publiées au grand jour sur internet ces derniers mois, et finalement portées devant les tribunaux.



 En premier lieu, il apparaît que les loges de la République, connues pour leur capacité à entretenir le secret, ont bien du mal à s’adapter au monde des technologies de l’information et des réseaux sociaux, par lesquels transpirent justement de plus en plus de confidences, voire de vidéos. En second lieu, et selon le témoignage de l’un de ses propres « grands maîtres », la franc-maçonnerie est confrontée à un processus de dénaturation de ses rites et de sa discipline interne, qui l’a conduite presque inévitablement à la situation de schisme où elle est arrivée aujourd’hui. Ce schisme a eu lieu le 28 avril 2012, lorsque la seconde loge de France, la GLNF (Grande loge nationale de France, 42 000 membres), s’est scindée en deux pour donner naissance à une loge dissidente conduite par Alain Juillet (ex-n°2 de la DGSE), la désormais GL-AMF (Grande loge de l’alliance maçonnique française). 6 000 frères schismatiques ont quitté la GLNF pour rejoindre la GL-AMF. Une situation de crise inédite. Avec des causes inédites.
« Une situation mortifère pour la GLNF »
Devant la fronde qui s’est dressée face à lui pour le renverser, François Stifani, le Grand Maître de la GLNF, s’est fendu le 02 juillet 2012 d’une lettre alarmiste adressée à ses « très chers frères » pour dénoncer la « situation de crise institutionnelle » qui menace l’existence de sa loge. En cause, l’évolution des pratiques et des mentalités : « notre Obédience est maintenant divisée en divers courants, diverses tendances, reflétant chacune des positions maçonniques diverses. Certaines d’entre elles n’étant plus maçonniques du tout. La dynamique néfaste qui s’est mise en place lors de ce vote de ratification, sera active à chaque nouveau vote en Assemblée générale ». La lettre de Stifani répliquait à la lettre ouverte d’Alain Juillet, grand maître concurrent en quête de légitimité, adressée à tous les frères de la GLNF un mois plus tôt (2 juin 2012)[1] dans le but de séduire les fidèles de Stifani. Pendant ce temps, un bras de fer judiciaire opposait les deux « évêques » de la GLNF, puisque le second avait insulté le premier au cours d’une réunion le 28 janvier, Juillet traitant Stifani de « dictateur, affairiste et magouilleur »[2]. Il avait critiqué « l’œuvre inique et cynique de Stifani », « le petit clan sectaire qui veut voler la GLNF à tous les frères qui la font virvre depuis cent ans », « le petit groupe d’affairistes qui confond la GLNF avec un fonds d’investissement immobilier ». Et Juillet de conclure : « comme tous les dictateurs, de Ben Ali à Moubarak, en passant par Gbagbo, Stifani veut rester en place ».
Les « frères des Lumières » en proie à une dictature
C’est bien le comble du comble : la franc-maçonnerie gouvernée par une dictature ! Que se passe-t-il au juste ? François Stifani est accusé d’inféodation au pouvoir en place depuis le début de son mandat en 2007. Mandat de 3 ans prolongé à 5, et qui devait s’achever au terme d’une Assemblée générale tenue le 30 mars pour élire son successeur. Mais voilà, pour la première fois dans l’histoire de la GLNF, aucun candidat n’a réussi à obtenir une majorité suffisante, cela malgré des recours procéduriers au Tribunal de Grande Instance et à la Cour d’Appel entre mai et juin. C’est donc Stifani qui assure l’intérim pour une durée indéterminée, comme l’a fait savoir le « grand orateur » de la loge par un communiqué du 28 juin : « Le mandat du Grand Maître Stifani expirera en décembre 2012 », mais « ses fonctions ne cesseront que lorsqu’un successeur sera régulièrement désigné et installé à sa place ». Stifani, fort du soutien de l’ancienne équipe élyséenne, n’a clairement pas l’intention de démissionner. De quoi faire enrager une floppée de franc-maçons qui ne se privent plus d’étaler leurs états d’âme sur internet[3]. C’est à eux que Stifani s’en est pris dans sa lettre du 2 juillet : « Nous déplorons l’attitude irresponsable de ceux qui, au mépris de nos Institutions, à travers emails et blogs internet, ont continué après le 30 mars 2012, à véhiculer calomnies et insultes, non seulement sur le Grand Maître, mais aussi sur l’ensemble de notre Obédience ». Pendant que Stifani continue de couler des beaux jours dans un appartement luxueux[4] destiné aux relations publiques de la loge, avenue Wagram, ses opposants ne décolèrent pas de l’avoir vu copiner avec Sarkozy.

La Franc-maçonnerie face au monde moderne : la tentation traditionnaliste
Début décembre 2011, Stifani affirmait bien maladroitement que « La GLNF mettait ses 43 000 membres à la disposition du président de la République ». Chaos dans les rangs de la GLNF. Plusieurs centaines d’opposants à Stifani, pilotés par A. Juillet, manifestent aussitôt dans les rues de Levallois-Perret. Au cours de l’assemblé annuelle de la loge, tenue le 04 décembre, c’est le tollé : Stifani est conspué sous les cris de « démission, démission », qui l’empêchent de prononcer son discours solennel[5]. Une vidéo diffusée sur internet montre la curieuse tenue de cette chaude assemblée, dans une antre qui ressemble beaucoup plus au Parc des Princes pour un PSG-OM qu’à un haut lieu des décisions politiques secrètes. Les balbutiements étriqués du grand maître constamment interrompu sont à la limite du ridicule : "Pourquoi autant de violence ?... Je n'ai jamais pensé que j'étais le bien et que vous étiez le mal...". Du haut niveau... On pourrait croire que la crise actuelle de la franc-maçonnerie se résume au seul homme Stifani. Pour le dissident Alain Juillet, il s’agit d’un problème de traditions, comme il l’exprime dans les statuts de la GL-AMF : « Pour retrouver les principes de la Maçonnerie régulière traditionnelle, nous avons épuré nos activités de tout ce qui conduit au culte de la personnalité, notamment en supprimant les tabliers bleus et les titres qui ne sont là que pour satisfaire l’égo des assoiffés de reconnaissance sociale ». Le ‘mal’ est sans doute profond, dans la mesure où Stifani réalise lui-même que la pensée maçonnique est en train de partir en fumée. Ayant acquis ses galons et ses tabliers en servant de contre-église et de ferment doctrinaire à la république laïque, la franc-maçonnerie est devenue aujourd’hui un lobby comme les autres. Une sorte de chambre à air de l’administration, de « réseau où chacun se fait la courte-échelle, à la recherche de promotions et de décorations », selon une source proche de l’Elysée. L'avenir de la maçonnerie en France pourrait bien être celui de l'arroseur arrosé.


[1] Lettre d'Alain Juillet, "Grand Maître" de la GL-AMF (Grande Loge de l'Alliance maçonnique de France), A tous les frères..., 02 juin 2012 :
[2] François KOCH, « Combat judiciaire Stifani-Juillet pour injures », La Lumière (Blog franc-maçon de L’Express.fr), 5 juin 2012.
[3] François KOCH, « J’y suis, j’y reste », La Lumière (Blog franc-maçon de L’Express.fr), 28 juin 2012.
[5] LCI – TF1, 04 décembre 2011 : « Chahut chez les franc-maçons : le grand maître minimise la fronde ». http://lci.tf1.fr/france/societe/chahut-chez-les-francs-macons-le-grand-maitre-minimise-la-fronde-6857729.html

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