lundi 15 octobre 2012

Pas la retraite encore,mais vivre dans la rue...


Plutôt que de se diriger vers une retraite paisible, de plus en plus de baby-boomers vieillissants se retrouvent à la rue après avoir perdu leur emploi en toute fin de carrière. Souvent seuls et trop âgés pour trouver du travail, ces anciens camionneurs, techniciens, travailleurs d'usine ou agents d'immeuble dorment dans les missions en attendant d'être assez vieux pour recevoir une pension du gouvernement. Si les experts n'arrivent pas encore à évaluer précisément l'ampleur du phénomène, ils savent qu'il prend de l'importance. Tout cela, à cause du ralentissement économique, du vieillissement de la population et de l'isolement des aînés. Dans la rue, les ressources sont rares pour les gens de leur âge.



«Je vais vivre à la Maison du Père jusqu'à mes 65 ans.» Résigné, Réjean Saint-Gelais raconte comment, à 61 ans, après 31 ans sur le marché du travail, il a atterri dans la rue. Propre, rasé, un col de chemise sans plis dépassant sous son chandail de laine bleue, l'homme robuste n'a rien du stéréotype du vieux clochard avachi sur un banc de parc.
Réjean Saint-Gelais se lève chaque jour de bonne heure, il se lave, se coiffe, se rase et met des sous-vêtements propres. «Moi, les gars qui ne prennent pas soin d'eux, ceux qui ne se ramassent pas, ça m'énerve. Ce n'est pas parce qu'on n'a pas de maison qu'on doit vivre comme des cochons.»
Il y a bien un an que le sexagénaire est sans-abri. Coup sur coup, il a perdu son emploi et sa femme, morte des suites d'une grave maladie. «J'ai fait une grosse dépression», dit-il en sirotant un café, assis dans un fauteuil de cuir dans la salle commune de l'organisme PAS de la rue, un des rares à s'occuper des sans-abri et des gens très pauvres de plus de 55 ans. Incapable de trouver un emploi assez stable pour se remettre sur pied financièrement, M. Saint-Gelais attend de souffler 65 bougies (ou 67 avec la réforme du régime de pension du gouvernement Harper) pour recevoir sa rente de vieillesse. D'ici là, avec moins de 500$ par mois, il n'a pas assez d'argent pour un logement.
«Depuis la crise économique de 2008, on voit de plus en plus de cas comme le sien», note Sébastien Payeur, directeur de PAS de la rue. Dans leur local tout neuf du boulevard René-Lévesque, lui et ses collègues accueillent de 35 à 45 usagers chaque jour. Ils leur offrent du café, un bol de gruau le matin et deux bols de soupe maison le midi.
La fréquentation est en hausse. «Il y a des semaines où on reçoit un ou deux nouveaux par jour», dit M. Payeur. Difficile à cerner précisément, le phénomène a néanmoins pris une telle ampleur que des experts commencent à s'y intéresser de près.
Grande précarité
Pour toutes sortes de raisons - maladie, suppressions de postes ou fermetures d'entreprises -, ces personnes, surtout des hommes, perdent leur emploi à un âge déjà avancé. Souvent seuls, ils se retrouvent dans un état de grande précarité. Comme Réjean Saint-Gelais, ils sont trop vieux pour intéresser des employeurs, mais trop jeunes pour recevoir de l'aide gouvernementale.
«On a beau essayer de s'en sortir, personne ne veut de nous, rage Yvan Grenier. Disons qu'on n'a pas le profil idéal pour un employeur.» L'homme de 60 ans a vécu quelques années sans domicile fixe, passant d'un dortoir à l'autre, avant de finalement s'en sortir en passant le balai dans la rue. Il avait auparavant travaillé 20 ans pour une entreprise d'aviation, dont plusieurs années en tant que chef magasinier.
«Le message que la société envoie aux itinérants, c'est de se trouver du travail, mais pour les 55-65 ans, ça ne s'applique pas. Ils sont mis de côté», dit Sébastien Payeur. Sans compter que les gens de cet âge sont nombreux à avoir fait toute leur carrière dans un même domaine, sans nécessairement détenir de diplôme. «Ils ont peu de qualifications, ne sont pas à jour ou ont occupé un poste qui n'existe plus», explique la professeure Lucie Gélineau, experte des questions de pauvreté, qui réalise une étude sur la clientèle du PAS de la rue. Parfois, ils ne sont tout simplement plus capables physiquement d'accomplir les tâches disponibles.
Pas les moyens
Selon ce qu'a découvert Mme Gélineau, ces nouveaux itinérants n'ont pas les moyens de combler leurs besoins de base. Plusieurs n'ont pas le choix de dormir dans les missions s'ils veulent garder un peu d'argent pour autre chose. Selon Mme Gélineau, une personne seule a besoin de 13?000 $ par année pour vivre décemment. Le montant moyen de l'aide sociale est d'environ 700 $ par mois. Certains reçoivent aussi peu que 400 $.
Ainsi, à l'aube de la vieillesse, le corps usé et l'esprit fatigué, ils perdent tout. La majorité de la clientèle du PAS de la rue est malade, selon son directeur. Diabète, problèmes coronariens, arthrite, pertes de vision... Le vieillissement, quoi. Dans la rue, leur état de santé ne fait qu'empirer.
Des choses aussi anodines que des ongles trop longs peuvent devenir de véritables problèmes. «J'ai une bedaine moi, lâche Réjean Saint-Gelais en se prenant le ventre à deux mains. Alors mes ongles d'orteil, je n'arrive pas toujours à les couper. Mais ça me met mal à l'aise de demander à quelqu'un d'autre de le faire. J'ai ma fierté.» Des hôpitaux offrent des services de soins de pieds à 60$. Il n'en a pas les moyens. Et les missions ne le font qu'une fois par mois. Il y a foule.
L'homme, véritable colosse, a aussi des troubles de sommeil. Il n'a plus de carte d'assurance maladie, alors il achète des somnifères sur le marché noir. Il n'en connaît même pas le nom. «Tout ce que je sais, c'est que ça me fait dormir comme un bébé.»
Les soins de santé, pourtant essentiels chez des hommes de son âge, sont difficiles d'accès. «Les CLSC ne savent pas quoi faire avec eux, alors ils les réfèrent à la clinique itinérance du CSSS Jeanne-Mance [la seule à Montréal]», déplore M. Payeur. «À l'hôpital, ils sont discriminés», ajoute-t-il. La situation s'aggrave lorsque certains vivent des problèmes de santé plus graves. Ceux qui se font opérer, par exemple, passent leur convalescence dehors. «Il faut revaloriser la vieillesse. C'est la seule solution», dit Sébastien Payeur, qui organise ce matin un point de presse dans l'espoir de sensibiliser la population à ce qu'il qualifie de «situation inacceptable». «Il faut des changements politiques, sociaux et structurels qui permettront d'éviter que de plus en plus de nos aînés tombent dans l'impasse.»
Le PAS de la rue organise le 18 octobre un spectacle-bénéfice animé par Jean-Marc Chaput au théâtre Rialto. Johanne Blouin et plusieurs artistes de la relève monteront sur scène.

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