lundi 30 mars 2015

Encore des enfants...


École du camp de réfugiés de Dar es Salam
Le camp de Dar es Salam s'étend à perte de vue dans les plaines arides au nord du lac Tchad. Une ville de toile bâtie dans l'urgence en janvier, après le massacre perpétré à Baga, au Nigeria, par les islamistes du groupe Boko Haram.
Des centaines de citoyens ont été froidement exécutés et leurs maisons ont été brûlées.
Ceux qui ont pu fuir, à pied ou en pirogue, se sont bien souvent retrouvés au Tchad voisin, espérant y trouver la sécurité et la paix d'esprit. En tout, le pays sahélien accueille 17 000 réfugiés du Nigeria.

En fin de matinée, sous un soleil de plomb, le camp de Dar es Salam paraît désert, exception faite des hommes assis sous un arbre, venus profiter de l'ombre. Mais en prêtant l'oreille, on peut entendre l'écho d'une leçon de français reprise en chœur par une classe de jeunes Nigérians.
« Mo-go va à l'é-co-le. Do-go est sur la mo-to. Mo-go a une jo-lie robe. »
Construites à la va-vite, faites de bois et de bâches, les huit classes accueillent plus de 700 élèves. Ils n'ont pas tous le même âge ni le même niveau, mais tous les enfants réfugiés du Nigeria reçoivent le même cursus : le programme tchadien de première année du primaire.
L'enseignement se donne ici en français, une langue que ne maîtrisent pas les jeunes Nigérians, plutôt éduqués en haoussa ou en anglais dans leur pays d'origine.
Dès la fin des cours, une vérité s'impose comme une évidence : le camp compte une importante proportion d'enfants. Ils occupent l'espace, omniprésents, jouent au ballon, l'air insouciant. Pourtant, chacun d'entre eux a vécu un drame.
Idriss Dezeh, le gérant du camp de réfugiés de Dar es Salam, le sait bien. Il a accueilli personnellement chacun d'entre eux. Il est même bien souvent allé les chercher lui même en pirogue sur les îles du lac Tchad où ils s'étaient réfugiés.
« Il y en a qui ont vu leurs parents mourir. Il y en a qui ont vu leurs parents partir sans eux. Il y en a qui ont vu d'autres enfants mourir à côté d'eux. Il y en a qui ont échappé de justesse à une exécution. Je suis très attaché à eux », dit-il.
Idriss Dezeh, le gérant du camp de réfugiés de Dar es Salam, entouré d'enfantsIdriss Dezeh, le gérant du camp de réfugiés de Dar es Salam, entouré d'enfants  Photo :  Radio-Canada / Jean-François Bélanger
Familles déchirées
Bon nombre de ces enfants sont arrivés au camp non accompagnés, séparés de leurs parents, dans le chaos qui a suivi les attaques de Boko Haram.
C'est le cas de Bana Serki, 13 ans. L'adolescent est d'un calme désarmant. Très appliqué en classe, il dit vouloir profiter de l'occasion pour apprendre de nouvelles langues et pour recevoir une bonne éducation, nécessaire pour devenir gouverneur, le poste qu'il convoite « pour pouvoir ramener la paix au Nigeria ».
Bana Serki, réfugié au camp de Dar es SalamBana Serki, réfugié au camp de Dar es Salam  Photo :  Jean-François Bélanger
Seul un subtil bégaiement trahit le choc traumatique dont il souffre sans doute. Bana n'a plus eu de nouvelles de sa mère depuis le 3 janvier, le jour où les miliciens de Boko Haram ont donné libre cours à leur folie meurtrière à Baga.
Le jeune Bana raconte comment il a fui, comment il a supplié sa mère de le suivre et, surtout, comment elle a souhaité rester derrière un peu plus longtemps que lui, pour ramasser des vêtements.
Il raconte aussi les rafales nourries de kalachnikov qu'il a entendues dans sa fuite et la longue marche de plusieurs jours qui a suivi.
Les ONG oeuvrant auprès des réfugiés ont lancé des procédures de recherche pour tenter de réunifier les familles séparées dans la fuite.
Beaucoup d'orphelins
Le chaos et l'insécurité qui règnent encore dans le nord-est du Nigeria et la dispersion des réfugiés dans quatre pays différents rendent le travail très difficile. Dans beaucoup de cas, il faudra bien finir par se rendre à l'évidence : bon nombre de ces enfants sont aujourd'hui orphelins.
Moment de détente entre enfants au camp de réfugiés de Dar es SalamMoment de détente entre enfants au camp de réfugiés de Dar es Salam  Photo :  Jean-François Bélanger
« Nous ne sommes pas en mesure de leur dire si leurs parents sont décédés ou s'ils sont vivants, dit Idriss Dezeh. Heureusement, à leur âge, la plupart ne voient pas encore la réalité en face. Ils se disent que leurs parents sont peut-être en voyage, qu'ils sont peut-être encore quelque part. »
Les enfants non accompagnés ont été placés temporairement en famille d'accueil au camp de réfugiés.
C'est le cas de Bana, qui attend avec impatience le jour où la paix reviendra au Nigeria et où il pourra enfin rentrer chez lui.
Il n'espère plus qu'une chose : que sa mère a pu fuir avec des voisins et qu'elle sera à la maison pour l'accueillir à son retour.

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