dimanche 24 août 2014

États-Unis : militarisation de la police...

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Depuis plusieurs années, les forces de l’ordre « recyclent » armes et matériel de guerre, montre le New York Times dans une enquête publiée en juin. Une militarisation particulièrement visible à Ferguson (Missouri) dans les affrontements qui ont suivi la mort du jeune Michael Brown.
De Neenah, Wisconsin. Le hangar municipal de cette petite ville riveraine du lac Winnebago accueille désormais, aux côtés de l’imposant chasse-neige orange, un mastodonte plus impressionnant encore, couleur sable.
Ce véhicule de combat de 30 tonnes, à l’épreuve des mines, fait partie des centaines de blindés que les Américains voient fleurir un peu partout dans le paysdevant leurs postes de police, petits et grands. Le blindé de près de 3 mètres de haut était destiné aux théâtres d’opérations de l’étranger.


Mais à l’heure où Barack Obama est en train de mettre un terme à la “longue saison de guerre” de l’Amérique, le matériel de combat – fusils d’assaut M16, lance-grenades, silencieux et autres – atterrit dans les départements de police, sans que quiconque y prête vraiment attention.
Selon les statistiques du Pentagone, les postes de police du pays auraient ainsi reçu, sous le gouvernement Obama, plusieurs dizaines de milliers de mitrailleuses, près de 200 000 chargeurs, des milliers d’équipements de camouflage et de vision nocturne, ainsi que des centaines de silencieux, de véhicules blindés et d’hélicoptères.
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Arsenal
Ce matériel vient s’ajouter à l’arsenal des forces de l’ordre, qui ont d’ores et déjà adopté l’allure et les méthodes des unités militaires. Les Swat [Special Weapons and Tactics, unités d’élite de la police américaine] sont désormais sollicités plusieurs dizaines de milliers de fois par an, y compris pour des interventions de routine.
En Louisiane, des policiers cagoulés et armés jusqu’aux dents ont ainsi fait une descente dans une discothèque en 2006 dans le cadre d’une opération de contrôle de la vente de boissons alcoolisées. En Floride, en 2010, des policiers du Swat ont mené des inspections armes au poing dans les salons de coiffure… qui n’ont généralement débouché que sur des poursuites pour “exercice de la profession de coiffeur sans licence”.L’arrivée massive de blindés à l’épreuve des mines a déclenché un débat dans les petites localités comme Neenah : n’assiste-t-on pas à un brouillage de la frontière entre l’armée et la police depuis les attentats du 11 septembre 2001 ?
Paisible bourgade de 25 000 âmes, Neenah affiche un taux de criminalité très inférieur à la moyenne nationale. Voilà plus de cinq ans qu’on n’y a pas vu d’homicide. “Il fallait bien que quelqu’un se dévoue et pose la question du pourquoi de cette décision”, explique William Pollnow Jr., conseiller municipal de Neenah qui s’est opposé à l’acquisition du nouveau véhicule de police. Le chef de la police de Neenah, Kevin E. Wilkinson, trouvait lui aussi au départ que ce véhicule à l’épreuve des mines était disproportionné, mais l’ancien véhicule blindé du poste de police n’était pas capable de résister aux armes de gros calibre. “Je n’aime pas ça. Je préférerais que les choses soient encore comme quand j’étais gosse”, reconnaît-il, avant d’ajouter que le risque de violences, si faible soit-il, nécessite de prendre des précautions.
Le Congrès de Washington a créé le programme de cession des équipements militaires au début des années 1990, à une époque où la criminalité faisait des ravages dans les villes américaines et où la police se sentait sous-armée face aux trafiquants de drogue. Aujourd’hui, la criminalité est tombée à son plus bas niveau depuis vingt-cinq ans, le pays est moins impliqué dans les théâtres de guerre à l’étranger et, en dépit du climat de peur actuel, le nombre d’attentats sur le sol américain est en chute libre depuis les années 1960-1970.
Or les forces de l’ordre n’ont jamais amassé autant d’armes et de matériel de guerre. Certains services de police, notamment dans les grandes agglomérations, se servent de dotations fédérales pour acheter des véhicules blindés et d’autres équipements de guerre. Et le programme qui permet à la police de piocher gratuitement dans les surplus de l’armée est particulièrement prisé des chefs de police, qui confient qu’ils n’auraient jamais les moyens de s’offrir de tels équipements.
En Caroline du Sud, le site web du département de police du comté de Richland exhibe ses hommes du Swat, arme au poing et tout de noir vêtus, devant un véhicule blindé aux allures de char d’assaut équipé d’une mitrailleuse de calibre 12,7. Porte-parole de la police locale, le capitaine Chris Cowan explique que ce véhicule “permet aux policiers de faire jeu égal avec des criminels dont la puissance de feu augmente de jour en jour”. Il raconte que les policiers sont allés le présenter dans des établissements scolaires et dans des fêtes locales, où il a délié la langue des habitants. “Il nous permet de nouer le contact avec les gens en un rien de temps”, se félicite-t-il.
Syndrome de Stockholm oblige, j’imagine…
Le programme du Pentagone ne pousse pas la police à acquérir ce type de matériel. La cadence des cessions dépend de la quantité de matériel inusité que l’armée a en sa possession et des demandes. Les équipements non réclamés sont généralement détruits. Les responsables des services de police reconnaissent donc qu’ils n’hésitent pas longtemps à solliciter du matériel gratuit voué au rebut plutôt que de puiser dans leurs dotations en prévision d’un scénario improbable. La plupart des gens comprennent, assurent les policiers.
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Sécurité
Quand vous leur dites que vous vous préparez à une éventualité qui pourrait ne jamais se présenter, ils comprennent”, souligne le capitaine Tiger Parsons, de la police du comté de Buchanan, dans le nord-ouest du Missouri, qui vient de réceptionner un véhicule à l’épreuve des mines. Kevin E. Wilkinson, le chef de la police de Neenah, explique qu’il n’a pas l’intention de militariser sa petite ville, mais que des policiers meurent sous les balles, y compris dans les petites localités.
Et que s’il existait un moyen abordable autre que ce nouveau véhicule de protéger ses hommes, il y aurait recours. “Cela ne me plaît pas du tout de voir la ville divisée sur une question liée au maintien de l’ordre comme celle-ci, mais c’est le cas, argumente-t-il. Je prie tous les jours pour la sécurité de nos habitants. Et j’en suis arrivé à la conclusion que c’était la meilleure chose à faire.

— Matt Apuzzo
Publié le 8 juin 2014 dans The New York Times (extraits) New York

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