vendredi 12 octobre 2012

Guendalina, mon n’amour…


Mon enfance a été parsemée de fèves au lard, de beurre pommes de terres au lard, de sardines qui faisaient grincer le nez, et d’un pain des pauvre, sans levain, prêt en cinq minutes.
Je me souviens très bien : c’était en automne, et à chaque fois que je revenais de l’école, c’était toujours le même menu. Je me gavais. Les ados ont besoin d’un « surplus » pour développer leur squelette, leurs muscles. J’en ai connus qui avaient les jambes tellement longues qu’ils ont dû s’en faire scier un bout pour devenir « normaux ».
Plus tard, proustien, j’ai associé les fèves au lard avec  gaz de schiste… J’avais de la richesse là où personne n’avait pensé…



Mon père, en chômage, fabriquait sa boisson énergisante que l’on vend aujourd’hui sous le sot de l’État : de l’alcool maison.  Mais pendant cet automne-là, pendant que les feuilles tombaient, il eût une accalmie dans sa soif, comme si la terre avait avalé toute l’eau de son corps pour l’hiver.
Nous étions tellement pauvres que ma mère me fabriquait mes vêtements. Mes pantalons n’étaient jamais pareils aux autres.
Heureusement, pas loin, il y avait le fleuve Saint-Laurent. Alors, j’allais de temps en temps pêcher la loche, un poisson dédaigné par la gente snobinarde. Mais vint un mets fin que je détestais : l’anguille. À profusion. Il fallait se lever tôt le matin et la saisir dans la boue, elle qui dormait, la saisissant par des pinces énormes.
Heureusement, le soir, mon père et moi, regardions la télé sur un bureau artisanal, une émission nommée « Cinéphiles ». C’est à ce moment que je sentis les effets des fèves au lard et de l’anguille. Je suis tombé amoureux d’une italienne dans un film où l’amour régnait : Guendalina .
 
Mélangée à mes hormones d’ados, de fèves au lard, de pauvreté, du parfum italien avec ses stigmates de passion, j’étais un fan fini :  En rêve, j’allais vers le grand fleuve, et je hurlais : Gueeeendaaaaaaaaaaaaaaalinaaaaaaaaaaaaaaa!
Comme chantait Charlebois :
Pas de réponse
Faut que j’défonce
Un grand pas pour l’humanité, un petit pas pour moi….
Pour conquérir le monde, je devais être comme « eux » : manger des mets que je n’arrivais pas à prononcer et acquérir une culture pour pouvoir parler, m’exprimer, et, en écrivant, m’acheter des pantalons qui étaient comme les autres.
D’une pierre, deux cous…
Le cou m’a rallongé, et la culture m’a lévité. Grâce au Canada, au Québec, qui avait enfin décidé de donner à la plèbe des lettres de noblesse.
Ils appelaient cela, l’éducation.
Nous devînmes si éduqués que nous pouvions parler en passé simple. Pour certain, ce fut le monde des mathématiques.
Peu importe. J’y rencontrai dans ma fine couche de culture « classique » des auteurs étonnants, et des Guendalina surprenantes. Il y en avait partout : de la petite blonde rondelette jusqu’à la grande efflanquée noire, je transpirais de partout… Même du cerveau. Car c’est en lisant Sartre, Camus, discutant philosophie après les cours, portant le même pantalon, mangeant les dimanches du poulet aux normes hommes, – citation de Ferrat -, j’entrai dans la brousse des snobs.
Bizarrement,  Zola m’impressionna. D’autant que l’université d’ Ottawa avait fait venir de Paris une dame spécialiste de l’œuvre de Zola.
Le problème est que je me mis à porter des jeans… En fait, j’en avais trois paires. Et quand, à la cafétéria, je vis se promener ces futurs dirigeants, cravatés, je n’arrivais pas à digérer mon repas.
Après avoir acheté la culture des États, celle qui fournit du pareil, je finit par comprendre le génie de ma mère : la culotte, on la fabrique. Mon père, lui, avait voulu que je fusse avocat… Il y voyait là une savantissime  créature cherchant le pouvoir et parlant devant une foule pour tenter de convaincre tout le monde que le coupable est innocent et que l’innocent est coupable… Pourvu que ça paye.
Je me mis à la poésie.
En l’espace de trois ou quatre ans, j’avais fait des progrès énormes. J’avais toutefois développé une dépendance en tentant de manger comme « heux », de boire du vin rouge, comme « heux », de me vêtir comme « heux », et de ne pas devenir riche et puissant comme « heux ».
J’ai tout essayé : les citations, les grands livres, la bouffe, les vêtements, et la carrière. C’était la pire des choses qui « puissait » m’arriver et, surtout, me river.
Pas question.
Plus j’avalais, plus je déglutinais.
Pour me libérer, j’écrivis alors un poème : « Naître et n’avoir »… J’ai dû le perdre.
La transformation  
Je me suis lire des romans populaires, à travailler, comme tout le monde, mais  à non pas abandonner mon égo : il suffisait de le contrôler. On cherche son image à travers les yeux des autres alors qu’on l’a  en soi.
C’est là, également, que j’ai compris que ma mère était une artiste, que mon père était un artiste – lui qui jouait du violon au coin de la rue de sa chambre -, et que ce qu’il reste après cette vie est une âme dépouillée avec un paire de culottes pas comme les autres.
Après un demi-siècle, et des poussières à en faire un bon tas de compost, j’ai compris que mon corps n’était qu’un vaisseau.
Pour élargir mon œuvre, j’ai décidé de fonder un mouvement : Les SA. Snobs anonymes.
Les rencontres auront lieu dans des endroits différents du monde, ou par la toile.
Il n’y a pas de vaccins pour les snobs. Il faut s’injecter du jus de snobs et réfléchir un peu.
Ce n’est pas la richesse qui nous enrichit, mais la pauvreté sans la misère.
La pauvreté se partage, car on a tous un peu quelque chose, mais la misère, elle s’accumule, parce que les riches sont prêts à arracher votre peau pour se nourrir.
Le menu
De temps en temps, j’ai des rechutes. Je mange pour faire plaisir aux gens des mets  étrangers. J’ai probablement  un Alien dans le ventre… Comme dans le film.
Je lis des livres encore un peu trop blanchis par l’État.
Mais je me soigne…
Moi, XX, je suis snob, mais je le sais…
Il reste Guendalina. Je viens de retrouver ce vieux film en langue italienne. Je n’y comprends presque rien. Probablement que le visage de l’amour n’a pas de langue, ni de culture.
Je retourne à Guendalina et aux fèves au lard… Les rôties au beurre d’arachide…
Et je porte toujours les mêmes vêtements…
L’humain est probablement le singe le plus stupide : il pense qu’en mangeant des bananes il deviendra  comme le singe.
 Gaëtan Pelletier

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