lundi 24 décembre 2012

Quand on ne s’aime plus les uns les autres...



J’ai hésité à publier cet article aujourd’hui.  Les anges chantent dans nos campagnes, les carillons des caisses enregistreuses rythment le gai babil du crédit qui devient plaisir fugace et on peut deviner les rennes, Rudolph en tête, voletant entre les flocons duveteux qui seront demain cette gadoue blanchâtre qu’au Québec on appelle la slotche.
C’est bientôt Noel… Il faut être un triste rabat-joie pour se plaindre aujourd’hui en cette fête de l’amour, n’est-ce pas ?  Alors j’ai hésité…




J’ai hésité, mais pas longtemps. C’est l’article d’Elyan, hier, qui  m’a convaincu d’appeler à sortir du placard.  À dire qu’il ne faut pas se leurrer, en prétendant un soir par année qu’on s’aime :  la vérité, c’est qu’on ne s’aime plus tellement les uns les autres …  et que c’est bien dommage.
Les pharmaciens de l’article de Elyan, leurs assistants qui bafouillent, la secrétaire–colonel et tous les acteurs de soutien de ce petit psychodrame m’ont convaincu qu’il fallait s’en ouvrir : on ne s’aime plus.    Le petit commis en chienne blanche derrière son comptoir qui vous donne les gouttes et les pilules ne vous aime pas, et les autres non plus.  Ils font distraitement leur petit boulot dont ils tirent leur petite pitance et ils préféreraient que vous et moi n’existions pas.  On les dérange…   Triste.
Triste, mais  il faut le dire : on ne les aime pas non plus.  Car ils nous dérangent, aussi, lorsque chacun de nous fait son petit boulot à lui.  Votre pharmacien ne vous aime pas, il se fiche de vous.  Soit. Mais si vous êtes chauffeur d’autobus, raterez vous un feu pour lui permettre de monter ?  Si vous êtes enseignant, resterez vous 10 minutes après les heures syndicales pour expliquer a son gosse qu’on peut extraire une racine carré sans calculatrice ?
Peut-être le faites-vous, certains le font…  Mais alors vous bousillez le « système ».  Les autobus prennent du retard, le syndicat roule des gros yeux… Alors ceux qui le font le font de moins en moins et ils sont de moins en moins nombreux à le faire. Le système n’est pas fait pour qu’on s’entraide ; il n’est pas fait pour des gens qui s’aiment. Il est fait pour qu’on s’exploite les uns les autres.
On peut dire « lutte des classes » et, bien sûr, le petit vendeur de pilules n’est qu’un outil du fabricant de pilule, dernier rouage d’un complot bien transparent des apothicaires  et autres Grands Riches  pour remplacer ce qui ne rapporte pas assez par ce qui rapporte plus.  Mais vous croyez que ça explique tout ?
Oui, il y a des Grands Riches – ceux du  0,00001 % d’en haut qui possèdent presque tout et dont il faudrait se défaire –  mais serait-ce suffisant ?  Est ce que si les supers riches n’étaient pas là, nous les 0,99999 % commencerions immédiatement à nous aimer beaucoup?
Non, car  la société qu’on a bâtie ne s’y prête pas.  Il n’y a pas que l’exploitation par les Grands Riches qui rend hargneux; il y a la simple concurrence devenue dogme et qui vise a faire un exploiteur de tout le monde. Une société mercantile d’arnaque institutionnalisée et de production de l’insignifiance.
Comment s’aimer les uns les autres, quand le boulot est de rivaliser avec tout le monde pour faire ce qui ne peut servir à quoi que ce soit ?  Comment s’aimer soi-même ?
Le cas limite de l’inutilité profonde du travail est dans le commerce de détail. Car si, achetant des bijoux, par exemple vous échangez en fait du papier pour des cailloux, ce n’est pas seulement ce résultat lui-même qui est futile, c’est toute la cascade d’opérations en amont qui est dérisoire et qui se termine par cette situation ubuesque de milliers de petits commerçants voulant tous vous vendre la même chose… dont vous ne voulez pas vraiment.  Comment voulez-vous les aimer ?  Comment peuvent-ils VOUS aimer ?
Et il n y a pas que ceux qui vendent… Pour la MAJORITÉ des travailleurs qui produisent vraiment des biens, le  boulot ne sert que d’excuse à la répartition – bien inéquitable – du revenu qui permet d’écouler ces milliers de biens  - la plupart inutiles – qui servent de jetons dans le jeu de la consommation.  Alors, aider ? Rendre service ? Tant mieux si ça s’adonne, mais l’important n’est-il pas de se positionner dans cette chaîne de travail pour rire qu’on a montée pour se répartir un peu le fric ?
Et même si on va aux services VRAIMENT utiles, les professionnels  qui ne sont, ou du moins ne se croient, les outils de personne voient-ils parfois les gestes qu’ils posent comme des gestes d’amour pour leur prochain ? Avocats, médecins, haut-fonctionnaires – prenez, par exemple ceux qui ont collaboré à faire libérer Turcotte, le tueur d’enfants -   est-ce que ces gens ont posé un geste d’amour ?
Le travail est le facteur le plus marquant de notre vie. Il faudrait se demander, chacun de nous, si nous voulons une autre relation de travail que celle de fournisseur de services à client.  Se rappeler furtivement, peut-être. des jours où l’on a soi-même regretté de n’être que le client pour ceux dont nous requérions les services…  Se demander si nous voulons  être autre chose que compétents, efficaces… et de simples rouages du système.
Oh il y a des professionnels qui demeurent humains : j’en ai même rencontrés !  Mais ils ne sont pas une majorité et l’impression qui se dégage de l’ensemble de nos  lieux de travail et de nos institutions d’enseignement, de nos lieux de santé, des bureaux de l’État n’en est pas une d’amour ni même de sympathie. On rivalise…
Alors il ne faut pas s’étonner, si ceux qui ont de quoi manger vont vite se festoyer cette semaine un kilo de malbouffe qu’il ne perdront plus, juste pour en priver les autres.  C’est que nous ne nous aimons pas vraiment les uns les autres.
Il y aurait des choses à changer
Pierre JC Allard
Cent Papiers 

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