lundi 30 juillet 2012

Kamikase....





La photographie qui figure ci-dessus mérite quelques éclaircissements. Malgré les apparences, il s'agit de cinq membres de la même espèce de termites tropicaux, Neocapritermes taracua, que l'on trouve communément en Guyane et qui se nourrissent de bois en décomposition. Le gros, avec la tête surdimensionnée, est un guerrier,




 tandis que les quatre autres, plus petits, sont des ouvriers. Pourtant, à bien y regarder, comme l'ont fait des chercheurs tchèques et belges dans une étude publiée par Science vendredi 27 juillet, on découvre aussi des différences entre ouvriers. Je les ai entourées en rouge sur le cliché. Certains ont des sortes d'épaulettes bleues à la frontière entre leur abdomen et leur torse, tandis que, chez les autres, cette zone reste blanche.
Ces taches bleues sont en réalité de petites poches dans lesquelles de mystérieux cristaux bleus sont fabriqués et stockés, non loin des glandes salivaires de ces insectes (qui se trouvent aussi dans le dos). Cette particularité physique ne constitue pas la seule différence entre "cols bleus" et "cols blancs". Si des membres d'une autre espèce de termites font intrusion dans le secteur, les premiers vont se montrer nettement plus agressifs que les seconds. En l'espace de 5 minutes, les termites aux cristaux mordront leurs adversaires 15 fois contre 2 fois seulement pour les ouvriers blancs. Et ce n'est pas tout. Si jamais ils ont le dessous dans la bagarre, les "bleus" se transforment rapidement en kamikazes, en se faisant littéralement éclater sur leurs ennemis. Sous la pression interne, leur cuticule cède au niveau des taches bleues et le contenu des poches se déverse à l'extérieur, accompagné d'ailleurs du contenu de l'insecte qui meurt dans cette explosion organique. Le liquide relâché semble particulièrement toxique car, dans 40 affrontements, seuls 3 insectes aspergés s'en sont tirés : 26 ont été tués et 11 paralysés.
Pour comprendre pourquoi certains ouvriers ont des poches bleues et d'autres pas, les auteurs de l'étude se sont intéressés... aux mandibules de ces insectes. En effet, le degré d'usure de celles-ci indique l'âge des termites : au fur et à mesure qu'ils vieillissent, travaillent dans le nid ou vont chercher de la nourriture pour la colonie, les ouvriers voient leurs mandibules s'éroder et devenir de moins en moins efficaces. Et, dans le même temps, leurs sacs à cristaux bleus se remplissent... L'ouvrier-termite, après une vie de labeur, n'a pas le droit à la retraite. Utile jusque dans la mort. Il consacre sa vieillesse à préparer l'arsenal qui rendra son suicide le plus dangereux possible pour ses adversaires.
Il arrive aussi aux ouvriers blancs de jouer aux kamikazes mais les résultats sont nettement moins dévastateurs : sur 40 insectes arrosés, 31 ressortent indemnes de l'épreuve, 4 sont paralysés et 5 tués. Toute la différence tient dans ces cristaux bleus, qui sont faits d'une protéine contenant du cuivre. Si on l'intègre dans l'arsenal des termites blancs, ceux-ci tuent davantage d'ennemis (sur 40 confrontations, 18 ennemis morts et 5 paralysés), sans toutefois parvenir à l'"efficacité" redoutable des termites bleus. En réalité, c'est le mélange des cristaux et des sécrétions des glandes salivaires qui crée le cocktail meurtrier, tout comme, à une époque, il fallait mélanger le contenu de deux tubes pour obtenir une colle extra-forte...
Précisons que Neocapritermes taracua n'est pas la seule espèce de termite à adopter ce comportement de kamikaze (que l'on retrouve aussi chez certaines fourmis dites explosives). Mais, en général, ce sont plutôt les guerriers, et non les ouvriers, qui passent en mode suicide, comme c'est par exemple le cas chez Globitermes sulphureus. Quand le besoin s'en fait sentir, ce termite asiatique est ainsi capable de se rompre lui-même et d'émettre un liquide gluant qui collera son cadavre au corps de son ennemi. Néanmoins, si ce comportement n'est pas nouveau, l'étude de Science met pour la première fois en évidence chez des termites un mécanisme de défense impliquant le mélange de deux produits.
 Pierre Barthélémy (@PasseurSciences sur Twitter

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